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Julia Jeanloz

Publié le 19 janvier 2020

Dossier vacances – Wadi Rum, entre nature et culture

Siégeant sur la rive occidentale du Jourdain, la Jordanie possède un patrimoine culturel impressionnant, parmi les plus importants du Proche-Orient. Ainsi, on compte notamment la cité de Petra, l’une des sept merveilles du monde, le désert de Wadi Rum et le site de l’antique Gerasa, à Jérash. Si Petra et Jérash sont des sites connus dans le monde entier, Wadi Rum l'est aussi, mais de manière plus indirecte, à travers des super-productions occidentales. Ce désert subjugue par ses vastes espaces et par la rencontre avec la culture bédouine. Compte-rendu.

En décembre, à l’annonce de mes vacances en Jordanie, je me heurte à des réactions mitigées de la part de mes proches. Si certains me jalousent la visite des trésors antiques du royaume hachémite, d’autres se préoccupent de ma sécurité, au vu des bouleversements géopolitiques et des crises socio-politiques de la région. En réalité, dans un environnement proche-oriental marqué par de vives tensions, la Jordanie ne fait que peu parler d’elle. Malgré les conflits qui impactent son voisinage et la forte présence de l’Etat islamique en Syrie, elle met en oeuvre avec habileté une politique étrangère qui vise à préserver sa stabilité et à la tenir éloignée des dissensions politiques et géopolitiques de ses voisins arabes. C’est ainsi qu’elle peut se prévaloir de recevoir le soutien des Etats-Unis et de la France. Enfin, elle met un point d’honneur à entretenir un lien ténu avec les plus importants pays du Golfe: Emirats arabes unis, Koweït et Arabie Saoudite.

Bien que le pays est stable, en amont d’un voyage sur place, il convient d’être attentif à l’actualité de la région, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, notamment, en raison de la complexité du contexte politique global.

Désireuse de découvrir la diversité des paysages dont on m’a tant vanté la beauté, d’en apprendre davantage sur la singularité de ce pays et de comprendre, à l’aide de rencontres et de visites, comment la Jordanie est parvenue à maintenir sa sécurité en dépit des Printemps arabes, je me lance à sa découverte. Wadi Rum, une zone d’une superficie de 74 200 hectares, inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, sera ma première destination.

 

Wadi Rum désert crépuscule jordanie
Le désert de Wadi Rum au crépuscule © Julia Jeanloz

 

Des richesses naturelles et culturelles

 

Plus de 15 ans après un séjour d’un mois en Syrie, à la suite d’un vol de 4h30, me voilà de retour au Moyen-Orient. « Welcome to Jordan », entendrai-je une bonne centaine de fois au fil de mon séjour. Déjà, il me tarde d’aller au contact des citoyens, d’écumer les souks à la recherche de zaatar, de sumac et d’autres épices régionales. C’est également l’occasion rêvée de mieux comprendre les rapports de pouvoir entre le gouvernement jordanien et les pays voisins. À la sortie de l’aéroport d’Aqaba, unique ville portuaire et balnéaire du pays, je prends un taxi en direction du désert de Wadi Rum (wadi signifiant « la vallée » en arabe, et désignant ici celle creusée par l’érosion d’un cours d’eau) , afin de m’immerger dans l’univers des Bédouins. Arrivée au Visitor Center du village de Rum, je descends du taxi pour charger mes affaires dans une jeep qui sillonne le désert, croisant au passage quelques dromadaires qui me lancent un regard nonchalant. Au loin, les falaises rocheuses de grès deviennent plus nettes à mesure que le paysage défile. Puis, au bout d’une trentaine de minutes, je rejoins mon campement bédouin. Un constat s’impose, celui de l’émerveillement: paysages pittoresques, sérénité ambiante et, quelques heures plus tard, un ciel complètement dégagé permettant de mieux observer la voûte céleste. Des caractéristiques d’autant plus appréciables que nous sommes le seul campement des environs.

 

Wadi Rum Jordanie désert arche
L’arche d’Umm Fruth est facilement accessible et il est possible de l’escalader en quelques minutes sans danger.

 

À la découverte de l’habitat des Bédouins

 

Je découvre alors mon logement pour la nuit et laisse mes habitudes d’Occidentale derrière moi. Plus de 4G, ni d’électricité, ni de douche, seulement une tente chichement aménagée et réalisée à partir d’un tissage de poils de dromadaire et de chèvre. Dans les déserts, les habitats nomades de ce genre ont pour but d’offrir un abri tempéré, en favorisant la circulation de l’air, qui dissipe la chaleur. La toile absorbe les rayons du soleil qui génèrent de la chaleur et réchauffent l’air à son contact. L’air s’élève alors, créant par convection un courant d’air, qui rend l’intérieur de la tente plus frais que l’extérieur. En janvier, les températures peuvent être glaciales. Le feu est donc un allié bienvenu. Notre hôte, Eid, nous tend le traditionnel thé bédouin avant d’allumer le feu dans un baril fermé par un couvercle, à moitié enterré dans le sable. Celui-ci fera également office de plaque de cuisson pour le repas du soir: du riz Basmati jaune à grain long, rehaussé d’un mélangé d’épices composé de curcuma et de safran, accompagné par du poulet et des légumes des environs. Le tout est servi dans un plateau collectif et se mange à l’aide d’un pain plat et circulaire qui remplacera les ustensiles usuels. Un vrai régal pour les yeux et la bouche!

 

Cogestim Wadi Rum désert campement Jordanie
Le campement est souvent établi à l’aide de différents critères: à l’abri du vent, près d’une paroi rocheuse, pour bénéficier de l’ombre. Au sol, des matelas posés sur les tapis permettent de dormir confortablement.

Paysages naturels et productions culturelles

 

Le lendemain, après une nuit au creux d’une paroi rocheuse, je me réveille et me précipite dehors, pour assister au lever du soleil sur les formations rocheuses sculptées par l’érosion. Leur taille gigantesque et les teintes ocres et orangées dont elles sont parées ressemblent à s’y méprendre à la planète Mars, telle qu’elle nous est restituée par l’imagerie satellite. Loin de se restreindre à du sable, Wadi Rum, situé près de la frontière avec l’Arabie saoudite, rassemble également bon nombre de canyons et d’arches naturelles, que les adeptes de l’escalade se feront un plaisir de gravir. Néanmoins, le plus beau trésor que nous réserve ce fabuleux biome réside assurément dans les milliers de pétroglyphes présents depuis plus d’une dizaine de milliers d’années, qui correspondent au début de l’écriture et représentent, entre autres, les activités agricoles de la région, et les inscriptions en arabe. Dans cette région, l’art rupestre est largement préservé, à défaut des effets du temps et de l’érosion. Au sein de l’imaginaire collectif occidental, ce désert prend des airs de déjà-vu car il a accueilli des tournages tels que Lawrence d’Arabie (1962) ou, plus récemment The Last Days on Mars (2013) et Star Wars, épisode IX: L’Ascension de Skywalker (2019).

 

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Des dizaine de milliers de pétroglyphes et d’inscriptions témoignent de l’activité humaine dans le Wadi Rum.
Cogestim Wadi Rum jeep Jordanie Lawrence d'Arabie
À proximité de la source de Lawrence d’Arabie, un petit arbre verdoyant trône fièrement au milieu du paysage rougeoyant.

 

Le keffieh, symbole populaire et foulard traditionnel des Bédouins

 

Durant le tour en jeep organisé, plusieurs haltes permettent au visiteur de jouir des paysages dignes de Tatooine ou d’apprécier un thé dans les tentes à proximité des sites visités, dans lesquelles les Bédouins se rassemblent et, durant l’été, peuvent apprécier l’ombre et proposer aux touristes thé et autres produits locaux. Parmi ces derniers, certaines pièces de vêtement d’usage, et plus particulièrement, le keffieh rouge et blanc, attirent mon attention. J’en apprendrai plus sur son histoire à mon retour.

En Jordanie, c’est sous l’ère coloniale (1920-1946) qu’il émerge. Au début des années 1930, le général britannique John Bagot Glubb en fait un accessoire de l’uniforme de la Patrouille du désert – une unité bédouine de la Légion arabe, une formation militaire organisée au sein de l’émirat arabe de Transjordanie.

Sur la scène médiatique internationale, cet accessoire fait son apparition grâce à l’usage qu’en fait Yasser Arafat, dès les années 1960, à l’heure de la résistance palestinienne. En 1970, la guerre palestino-jordanienne de Septembre Noir distingue deux armées: les keffiehs noirs des keffiehs rouges.

Avec le prestige et l’attrait croissants associés au port de l’uniforme de la patrouille, Glubb avancera que la coiffe rouge et blanche constitue un symbole du nationalisme arabe. Pourtant, cette affirmation n’est que partiellement correcte. Le foulard rouge et blanc est certes devenu un emblême puissant, mais pas de nationalisme arabe. Il s’est érigé comme icône du nationalisme transjordanien et, aujourd’hui encore, est fortement associé au patrimoine culturel jordanien.

Popularisé aux quatre coins de la planète et dénaturé à des fins commerciales par les stylistes, le keffieh est d’abord parvenu en Occident dans les années 1970, sous sa forme noire et blanche, pour manifester le soutien à la Palestine. S’il était essentiellement porté par les hommes à l’origine, il se féminise peu à peu grâce à une clientèle internationale.