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Julia Jeanloz

Publié le 16 décembre 2019

Villes fantômes: des exemples par l’image

Rues désertes, habitations délabrées, pas l'ombre d'âme qui vive... Que ce soit dans les westerns, les films d'anticipation ou les jeux vidéo, les villes fantômes sont bien présentes dans la culture populaire. Mais que se cache-t-il derrière ce mot-valise? Décryptage.

L’habitat désinvesti, déshabité ou abandonné fascine et interroge. En effet, la sensation de stabilité, d’ancrage géographique, nourrit le sentiment de sérénité. D’où la curiosité que l’on peut éprouver à l’égard des lieux ayant accueilli une activité humaine avant d’être tombés en décrépitude. L’urbex de la contraction d’urban exploration, en anglaisillustre ce constat avec éloquence. Cette tendance actuelle, mais aussi vieille que Mathusalem, consiste à explorer des lieux désaffectés ou abandonnés – hôtels, maisons, thermes, friches industrielles. Sur Instagram, les chiffres, témoignant de l’intérêt pour ce « sport », sont vertigineux: 7.4M de #urbex ; 3.5M de #urbanexploration.

D’autre part, le septième art regorge d’exemples de villes fantômes, à travers les films d’horreur, d’animation, dystopiques ou d’anticipation: Le voyage de Chihiro (2001), Silent Hill (2006), I am a Legend (2007)... Ainsi, qu’on les nomme ruines, villes abandonnées ou fantômes, ces configurations particulières de l’urbain font travailler l’imagination.

 

Ville fantôme: un objet discursif

 

Afin de mieux comprendre de quoi il est question, intéressons-nous d’abord à la dénomination. « Ville fantôme » est la traduction francophone de ghost city, utilisée pour la première fois en 1915 par un certain Charles Van Loan pour décrire Bodie, une ville minière complètement vide et figée à l’état de délabrement, au nord-est de la Californie.

 

Bodie ville fantôme californie
Bodie est l’une des villes fantômes les plus emblématiques. Située en Californie, elle est connue pour être apparue dans GTA: San Andreas, sous le nom de Las Brujas. Bodie a été édifiée à l’époque de la ruée vers l’or, à la fin du 19e siècle. En 1880, Bodie est une ville minière en plein essor: elle compte alors deux banques, une voie de chemin de fer, plusieurs journaux et une myriade de saloons. Assassinats, fusillades et hold-ups sont légion, à l’époque. Ses derniers habitants l’ont quittée dans les années 1950, à la suite de deux incendies.

À y regarder de plus près, il paraît difficile de trouver une définition uniforme de ce terme. On observe néanmoins un point commun à tous les exemples existants: l’épithète « fantôme » l’est systématiquement à travers le discours d’un sujet. Ainsi la ville est fantôme à travers le regard de quelqu’un, le discours qu’en fait un protagoniste. En conséquence, on en déduit que les attributs qui lui confèrent son caractère fantomatique sont purement subjectifs.

 

Quelques exemples bien connus

 

Penser les villes fantômes revient à se poser la question des causes de leur abandon. Ainsi, l’on peut légitimement se demander à quoi bon construire des villes si c’est pour les abandonner par la suite. En tissant des comparaisons entre plusieurs exemples à travers les siècles, les raisons sont plurielles: catastrophes naturelles ou industrielles, spéculation immobilière, guerres et massacres, déplacement d’une capitale ou chute d’un empire, activité économique changeante… L’histoire abonde en matière d’exemples de ville fantôme. Il nous a paru intéressant de vous en présenter trois, pour lesquelles la cause de l’abandon diffère.
 

Plymouth: entre cendres et boue

 

La première raison à l’abandon d’une ville est la catastrophe naturelle. Ici, l’image mentale qui nous vient immédiatement à l’esprit est naturellement celle de la célèbre cité de Pompéi, décimée par l’éruption du Vésuve il y a quelque 2000 ans. Mais les exemples de villes abandonnées du fait de la survenue d’un phénomène climatique ne sont pas l’apanage de l’Antiquité.

Dans les années 1990, Plymouth était la capitale du territoire britannique d’outre-mer de Montserrat, une île des Caraïbes. Aujourd’hui, il ne reste plus que de la terre grise et des vestiges. La ville a été décimée et recouverte de cendres par l’éruption de la Soufrière en 1997. Après l’anéantissement de leur capitale, les deux-tiers des 13’000 habitants de l’île de Montserrat ont émigré sur les îles voisines ou en Angleterre. Les autres se sont établis dans le nord de l’île, dans une zone protégée. 

Son statut de ville fantôme lui a été conféré en raison du calme inquiétant qui y règne et à l’absence d’animaux et d’oiseaux. Plymouth se situe en effet dans une zone d’exclusion et l’accès public y est limité. Les visiteurs qui s’y rendent sont accompagnés d’un guide. Ils sont également tenus de porter des talkies-walkies en cas d’une éventuelle éruption. La visite de Plymouth s’inscrit dans un plan de développement touristique de l’île de Montserrat.

 


 

Pripiat et la radioactivité

 
L’une des villes les plus emblématiques du 20e siècle est probablement celle de Pripiat, en Ukraine. En 1986, plusieurs milliers de personnes meurent des suites de l’explosion nucléaire qui a eu lieu à la centrale de Tchernobyl, dans la ville de Pripiat. Un cataclysme qui a propagé dans l’atmosphère un équivalent radioactif semblable à au moins 400 fois la bombe d’Hiroshima.

Aujourd’hui, la ville est un peu considérée comme un lieu incontournable du dark tourism, une forme controversée de tourisme qui consiste à visiter des lieux associés à la mort, à la souffrance ou à une catastrophe. En 2011, le gouvernement ukrainien a ouvert une partie de la zone d’exclusion (un endroit s’étendant dans un rayon d’environ 1000 miles autour de la centrale sinistrée) aux touristes de plus de 18 ans. Si l’on peut y apercevoir des lieux délabrés, on y voit aussi de la vie, humaine d’abord, mais aussi toutes sortes d’animaux: loups sauvages, orignaux, renards. Une flore abondante y a également élu domicile.

Cogestim Pripiat Tchernobyl

 

Détroit, visage d’une semi-ville fantôme moderne

 

Plus récemment, on a pu observer dans la ville de Détroit, dans le Michigan, une lente déchéance  économique et financière, qui s’est accompagnée d’une paupérisation et de l’exode de ses habitants. En 2013, au moment où la ville se déclare en faillite, certains quartiers étaient devenus un repère pour les toxicomanes ou les délinquants.

Onze ans après la crise des subprimes, les dégâts à Détroit, aux Etats-Unis, sont toujours visibles. Rappelons un peu le contexte: dans la nuit du 14 au 15 septembre 2008 à New York, la banque Lehman Brothers se déclare en faillite. Ceci marque l’apogée de la crise des subprimes, ces prêts immobiliers accordés aux ménages américains, souvent modestes, pour leur permettre l’accès à la propriété.

 

En 2013, ruinée depuis la crise économique d’il y a cinq ans, l’ancienne capitale de l’automobile est la première grande ville américaine à demander sa mise en faillite, avec une dette avoisinant les 19 milliards de dollars. Detroit devient alors une ville fantôme où de nombreux quartiers sont envahis par la végétation environnante et où de grands bâtiments, témoins d’un passé fastueux, tombent en décrépitude.

Depuis 2014, elle se relève lentement: les investissements ont repris dans le centre-ville et des industries s’y implantent. Cependant, en s’éloignant de son centre, l’on peut encore apercevoir certains quartiers dans lesquels le niveau de pauvreté se rapproche des 40%.

Une décennie après la crise, Détroit est toujours une ville qui avance à deux vitesses. Une double face qui questionne et accroît encore le gouffre entre le passé et le présent de Motor Town.

Ces trois exemples témoignent des différentes causes d’abandon des villes, sans toutefois en constituer un panorama exhaustif. Ils ont le mérite de souligne l’hétérogène réalité qui se cache derrière le terme de « ville fantôme » et comment une ville s’écrit pour se réécrire par-dessus, à la manière d’un palimpseste.