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Publié le 9 mai 2018

Limites, enjeux et impacts de la LAT : témoignages

TocToc vous propose un résumé des enjeux de la révision de la LAT. Pour en discuter, nous avons rencontré un promoteur, un propriétaire et un avocat.

L’application de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) fait toujours couler beaucoup d’encre. En effet, dans un souci de réduire le mitage du territoire, le peuple suisse a accepté la révision de la LAT en 2013. Or, son application est délicate à mettre en œuvre. Notamment à cause des conséquences du redimensionnement des zones à bâtir et la création de zones réservées. Au-delà des aspects techniques et législatifs, cette nouvelle règlementation a des impacts humains et financiers sur les propriétaires qui se retrouvent dans des situations où l’incertitude règne quant à leurs projets immobiliers.

TocToc est allé à la rencontre de M. Broye, promoteur, M. Kiehl, propriétaire terrien, et de Me Keller, avocat spécialisé, qui apportent leurs éclairages sur ce contexte. Explications et témoignages.

 

Bref rappel sur la révision de la LAT

La révision de la LAT a été acceptée par le peuple en mars 2013 et est entrée en vigueur le 1er mai 2014. L’objectif de cette nouvelle loi est double: densifier les centres et limiter le mitage du territoire suisse. Cette révision implique, entre autres, que les communes doivent désormais planifier leur développement sur la base du coefficient dédié. Ainsi, les réserves de zones à bâtir doivent être limitées en fonction des besoins dans les 15 prochaines années. Or, certaines communes doivent dézoner et redimensionner des zones à bâtir afin d’atteindre cet objectif.

votation LAT
En 2013, le peuple suisse a accepté à 62.9% la révision de la LAT prévoyant des mesures contre le mitage du territoire.

Ces changements législatifs ont bien entendu des impacts sur les milieux de l’immobilier qui doivent s’adapter. Pour M. Broye, promoteur sous l’enseigne Neilora, la manière d’exercer son métier a changé depuis 2014 en raison des nombreuses incertitudes qui entourent l’application de cette loi. Comme il le précise : « J’ai le sentiment que les dirigeants communaux sont perdus face à l’application de la LAT, j’ai constaté un changement de comportement général. » Selon lui, il est plus difficile de travailler dans ce climat : « En tant que promoteur, et donc entrepreneur, j’agis en prenant des risques puisqu’il n’y a pas de systématique dans le traitement des dossiers. Je dois donc m’adapter pour travailler dans le flou et l’incertitude.»

 

Des mesures contraignantes pour tous les acteurs de l’immobilier

Le Plan directeur cantonal vaudois (PDCn) est l’outil de planification du canton en termes d’aménagement du territoire. Afin de mettre en œuvre la révision de la LAT, le PDCn a fait l’objet d’une adaptation. Approuvée par les autorités fédérales le 31 janvier dernier, la 4e adaptation du PDCn contient des mesures contraignantes pour les autorités communales et cantonales.

La mesure A11 pour les zones d’habitation et mixtes (c’est-à-dire les zones à bâtir) fait partie de ce nouveau PDCn. Cette mesure répond aux objectifs de l’article 15 LAT qui, rappelons-le, impose que les zones à bâtir doivent répondre aux besoins prévisibles pour les quinze prochaines années. Mais que dit cette mesure A11 exactement ?

Elle fixe la croissance démographique annuelle maximale dans les zones à bâtir. Par exemple, les « périmètres compacts d’agglomération » se voient accorder un potentiel de croissance démographique élevé alors qu’un faible potentiel de croissance est attribué aux « villages et quartiers hors centre. »

 

L’enjeu du redimensionnement des zones à bâtir pour les propriétaires : exemple dans la Broye

Découle de cette mesure A11 un calcul complexe à réaliser par les communes afin que le potentiel d’accueil de leurs zones à bâtir respecte la loi. Si ce potentiel dépasse les besoins prévus pour le futur, alors un redimensionnement des zones à bâtir est nécessaire. C’est le cas pour 169 communes vaudoises.

Bien que ces mesures limitent le mitage du territoire afin de respecter la volonté populaire, les propriétaires terriens sont inquiets des redimensionnements prévus, susceptibles de déclasser leur terrain. Effectivement, n’étant plus classé en zones à bâtir, un terrain perd alors sa valeur financière et tout futur projet immobilier est paralysé.

terrain LAT
Une partie du terrain de M. Kiehl. Des arbres fruitiers poussent sur le site de l’ancienne décharge, en attendant qu’un éventuel projet immobilier voit le jour.

Un propriétaire touché par cette situation, M. Kiehl, nous explique qu’il possède un terrain de 10’000 m2 environ dans la région des Trois Lacs. Acquis dans les années 1930 par son grand-père, ce terrain est un héritage familial. Longtemps exploité pour ses graviers, une partie du terrain devient finalement une décharge (recouverte par la suite) et deux maisons sont construites sur l’autre partie, dont le logement familial. Aujourd’hui, les parcelles se situent en zone constructible. Ainsi, avec ses frères et sœurs, il a pris la décision de vendre les maisons et le terrain suite à l’hospitalisation de sa maman en 2010 : « Ma mère étant à l’EMS, nous avions de nombreux frais à assurer. De plus, après son départ du village, ma famille et moi n’avions plus vraiment d’attache familiale avec le lieu. » Suite à cette décision, les démarches administratives ont commencé. Les déceptions ont suivi.

 

Quelques précisions sur les zones réservées

Dans le canton de Vaud, les communes ont jusqu’en 2022 pour adapter leur plan d’affectation du sol. Toutefois, elles peuvent déjà bloquer des projets de construction. En effet, un permis de construire peut être refusé si un projet de construction compromet le développement futur d’un quartier ou lorsqu’il est contraire à un règlement d’affectation communal envisagé (art. 77 LATC). Et ce, même si le projet de construction est conforme à la loi, aux plans et aux règlements. Enfin, dans le but de planifier sereinement le dézonage de terrains situés en zones à bâtir surdimensionnées, les autorités communales peuvent aussi établir des zones réservées.

Cette mesure provisoire a été introduite afin de bloquer les constructions en attendant que les communes planifient leur aménagement du territoire. Par « zones réservées » on entend donc un terrain provisoirement inconstructible, tant que le nouveau plan général d’affectation de la commune respectant les exigences de la révision de la loi n’a pas été établi. Ainsi, les zones réservées gèlent les constructions pour cinq ans maximum, voire plus si le canton décide de prolonger ce délai.

conséquences LAT suisse
L’établissement de « zones réservées » est l’un des aspects de la révision de la LAT qui impacte directement les propriétaires terriens.

 

Quels impacts pour les propriétaires ?

Le terrain de M. Kiehl a été classé en zone réservée en attendant que la commune finalise son plan général d’affectation. Pourtant, il avait monté un dossier solide, appuyé par Hervé Ruffieux, Responsable du service courtage chez Cogestim, et la société de promotion Neilora. Après discussion avec la commune, le projet immobilier a été adapté et convenait à toutes les parties. La demande à l’enquête a même eu lieu. Toutefois, suite à la démission du municipal en charge, la gestion du dossier a été revue, le terrain placé en zone réservée et le projet stoppé.

Comme le souligne le promoteur M. Broye : « Certaines communes sont proactives dans le domaine de la LAT, la gestion des dossiers s’y fait plus facilement puisqu’elles ont su anticiper les changements induits par la loi et s’efforcent de respecter une certaine ligne de conduite. Alors que dans d’autres communes, il n’y a pas d’hégémonie et l’on peut avoir le sentiment que les dossiers sont traités de manière arbitraire. » Aujourd’hui, M. Kiehl craint un dézonage ce qui rendrait son projet immobilier impossible à concrétiser. « Au-delà de biffer une zone sur un plan, de telles décisions ont des impacts collatéraux sur des individus et leurs projets » nous confie-t-il.

Avec le recul, M. Broye et M. Kiehl regrettent que la commune n’ait pas mieux anticipé les changements législatifs afin de mieux encadrer les cas particuliers. Ainsi, de telles situations ne seraient jamais arrivées et toutes les parties n’auraient pas engagé autant de temps, d’énergie et d’argent dans un projet aujourd’hui sur la sellette. En attendant 2022, les propriétaire, promoteur et courtier impliqués se battent toujours pour faire reconnaître l’intérêt de ce projet immobilier.

 

Comment se projeter dans le futur ?

Placer des terrains en zones réservées crée de nombreuses incertitudes pour les propriétaires. En effet, ces derniers n’ont aucune garantie quant aux usages futurs qu’ils pourront faire de leur terrain. Un propriétaire lésé devrait être dédommagé d’après l’article 5 al.2 de la LAT. Cet article est formulé ainsi: « Une juste indemnité est accordée lorsque des mesures d’aménagement apportent au droit de propriété des restrictions équivalant à une expropriation. » Toutefois, dans le cas des zones réservées, un propriétaire n’a aucune idée de la décision qui sera prise concernant l’affectation de son terrain. Il ne peut donc pas se projeter.

questionnement LAT
Acteurs de l’immobilier et professionnels sont dans le flou dans certaines situations

En attendant que toutes les communes adaptent leur plan d’aménagement du territoire, les propriétaires terriens et les professionnels de l’immobilier du canton de Vaud concernés restent dans le flou !

 

L’avis de l’expert : conseils aux propriétaires vaudois

Un propriétaire qui se voit refuser un permis de construire en raison de la création d’une zone réservée dispose d’un délai de 30 jours pour recourir contre cette décision. L’opportunité d’une telle procédure dépend des circonstances.

Lorsqu’un permis de construire est refusé à un propriétaire au motif de la future mise à l’enquête publique d’une zone réservée, ce dernier a droit à une indemnisation pour les frais engagés de bonne foi dans le projet. Cette prétention se prescrit par un délai d’une année dès l’approbation de la zone réservée.

Durant la mise à l’enquête publique d’un plan d’affectation, y compris ceux créant une zone réservée, les propriétaires concernés sont en droit de formuler une opposition. En cas de décision levant cette opposition, un recours peut être déposé dans les 30 jours.

La jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de préciser les conditions dans lesquelles un propriétaire pourrait avoir droit à une indemnité lorsque sa parcelle est déclassée lors du redimensionnement de la zone à bâtir imposé par la nouvelle teneur de la LAT. Pour l’instant, il est impossible d’établir les chances de succès d’obtenir une indemnité pour la perte de valeur subie. Dans tous les cas, cette indemnité se prescrit par un délai d’une année courant dès la décision appliquant une restriction au droit de propriété. Afin de conserver des droits durant cette période d’incertitude, les propriétaires dont la parcelle est préalablement colloquée en zone réservée devraient déjà interrompre la prescription à l’encontre des collectivités publiques. Cette démarche, qui nécessite des connaissances juridiques, doit être entreprise avant l’échéance du délai d’une année susceptible de courir dès l’expression de la volonté communale de créer une zone réservée.

Au vu des impacts économiques et juridiques découlant de la création d’une zone réservée, les propriétaires concernés devraient intervenir rapidement afin de défendre leurs intérêts. A défaut, l’écoulement du temps risque de leur être préjudiciable.